Le sujet ici n’est pas de relancer la polémique sur
l’utilité des compléments alimentaires, ou encore pire, leur dangerosité. Bien
d’autres s’en chargent, trop jaloux de voir ces produits avoir une forte
croissance de vente [1].
Mon propos est de vous expliquer, pour les compléments
alimentaires à base de plantes, la différence qui existe entre le totum et
l’extrait. Sur le marché, vous pouvez effectivement rencontrer des produits
contenant la même plante, la même partie de plante, et pourtant ils sont
fondamentalement différents. Et dans leurs effets aussi ! Un
exemple ? La rhodiola, que vous pouvez trouver en totum ou en extrait.
Mais ceci est vrai aussi pour l’ashwagandha, le ginseng, l’éleuthérocoque, la
bardane, et… Je m’arrête là car la liste est évidemment bien longue.
Pourquoi ?
Pourquoi ?
Imaginez que vous vouliez faire un complément alimentaire,
en gélules, de racine de carotte…Une première méthode consiste à prendre des
racines de carotte, de les contrôler dans leur aspect, d’être bien sûr qu’il
s’agit de carotte et pas d’une autre Apiacée (la cigüe fait partie des
Apiacées…), de les laver et de les faire sécher. Une fois la dessication
obtenue, vous les passez dans un broyeur ou une meule, et vous obtenez une
poudre fine que vous mettez enfin dans des gélules. Vous obtenez ainsi un totum
de racine de carotte. Sur votre étiquette vous indiquerez « Totum de
racine de carotte ». Totum, emprunté au latin, signifie qu’il y a
la totalité de la racine de la carotte, hormis l’eau qui s’est évaporée en
grande partie.
Il existe une autre solution qui aujourd’hui est utilisée
majoritairement par l’industrie du complément alimentaire. Celle de l’extrait.
Reprenons notre exemple avec la carotte. Toujours après avoir lavé et vérifié
votre matière première, vous mettez vos carottes dans une marmite, et vous
rajoutez de l’eau. Vous allez me dire qu’on est parti pour faire une soupe à la
carotte… C’est presque ça. Dans votre marmite, vous avez effectivement la possibilité
de faire chauffer votre solution, cela va ramollir les fibres et rendre la
carotte plus malléable. Ça nous intéresse pour la suite car le but de
l’opération est de récupérer un jus de carotte que l’on fera sécher une fois
que l’on aura soigneusement filtré le contenu de notre marmite. Ce jus une fois
sec, vous aurez un extrait de racine de carotte. Que vous pourrez alors, tout
comme dans notre première méthode, mettre en gélules.
Mais les industriels sont des petits malins… Ils ont
remarqué que lors de la filtration, il restait beaucoup de matières dans le
substrat, ce que l’on jette, vu que c’est seulement le jus qui nous intéresse.
Ils ont donc développé des trésors d’ingéniosité pour faire en sorte que le jus
soit enrichi de plein de « bonnes » choses qui seraient restées dans
le substrat. Par exemple, au lieu de mettre simplement de l’eau, ils vont aussi
y mettre de l’alcool, parfois un alcool à des concentrations telles que 96 °…
Si l’alcool ne suffit pas pourquoi ne pas essayer avec d’autres solvants, comme
l’acétone… Si, si, la liste est longue. Les industriels disposent de plein de
solvants qu’ils personnalisent selon la matière première. Au point même que ce
sont des secrets de fabrication. C’est logique vu le prix qu’ils retirent de
leur produit fini. Entre le prix d’achat de la matière première, achetée
parfois à des quantités qui se négocient à plusieurs dizaines, voire centaines
de tonnes, autant dire que le prix au kilogramme est misérable. Pauvre
agriculteur… A l’inverse, quand une entreprise qui vend des compléments
alimentaires achète une poudre pour la mettre en gélules, elle paie le prix
fort de cet extrait. Pourquoi ? Parce que l’industriel fournisseur de
cette matière première a valorisé son produit en effectuant une analyse de ses
constituants. Vous avez ainsi un extrait qui est dit « titré en … ».
Par exemple pour la rhodiola, vous pouvez trouver cette dernière avec marqué
sur l’étiquette, titré en salidroside et rosavines », ou encore, « à
teneur garantie en salidroside (1%) et rosavines (5%) … »
Comment font les industriels si leur lot ne contient pas
cette valeur mais que c’est un critère nécessaire de vente ? Qu’à cela ne
tienne, ils reprennent une partie de leur lot, à qui ils font subir d’autres
procédés chimiques, en vue d’isoler le salidroside et les rosavines. Une fois
cette opération effectuée, ils rajoutent du salidroside et des rosavines dans
leur lot pour obtenir ce qu’ils veulent. Une simple règle de trois leur dit la
quantité qu’il faut mettre.
La raison de cette démarche industrielle est qu’à la sortie,
le produit offre une stabilité dans le temps plus longue qu’avec la méthode
traditionnelle que nous préférons. Et qui dit stabilité dit tranquillité pour
le commerçant qui met ce produit sur son rayon.
Pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec ces
méthodes ? Pour plusieurs raisons :
- Avons-nous la garantie que les solvants utilisés ne se retrouvent pas dans le produit fini, même sous forme de trace ? Les opérateurs qui font ces manips nous garantissent, analyse à l’appui, que ce n’est pas le cas… Pour moi, le doute subsiste.
- Pourquoi utiliser des solvants qui sont coûteux à fabriquer en termes d’énergie alors qu’il existe une méthode traditionnelle si simple à mettre en œuvre ? On encourage aussi une industrie du solvant qui est certainement très polluante. Il existe dans le monde de nombreux sites Seveso qui sont des usines de fabrication de solvants.
- En isolant quelques principes actifs, on détruit ou on occulte les autres composés, et donc la synergie qu’ils forment et qui fait l’efficacité d’une plante. Un extrait de plante relèverait plus, par définition, d’un médicament que d’un produit naturel.
- On nous parle beaucoup aujourd’hui d’une révolution vers la troisième économie agricole. Celle-ci passe par une plus grande diversité dans les cultures, associée à une démarche plus écologique, voire de culture biologique. Ceci est difficilement compatible pour un agriculteur d’accepter une commande de centaines de tonnes d’une seule plante d’un laboratoire d’extraction de matières premières végétales.
- Et puis pour le consommateur se pose la question de l’efficacité du produit. Un extrait est-il plus performant qu’un totum ? Pour le monde rationnel dans lequel nous vivons, la réponse est toute faite : « grâce à un produit dosé en principes actifs, vous avez une garantie d’effets ». Ah, ah…Pas si sûr…
Ne soyons pas naïf. Nous savons tous que nous vivons dans un
village mondial, et la Chine est l’usine de ce village mondial. Aujourd’hui, la
plupart des extraits de plantes viennent ou sont faits par des entreprises
chinoises. Pour l’avoir constaté par moi-même, les extraits de rhodiola ont des
dosages réels ne correspondant pas toujours avec ce qui est annoncé dans les
bulletins d’analyse.
Evidemment, il ne faut jeter le bébé avec l’eau du bain. Un
extrait bien fait est intéressant. Les extraits alcooliques qu’on appelle
couramment les teintures mères sont des formes galéniques passionnantes… Et
sont traditionnellement utilisées en phytothérapie. Mais nous sommes ici dans
le domaine de la tradition.
Pour finir, je voudrais vous raconter une anecdote qui
montre l’importance de favoriser le totum. A Natura Mundi, je vends une plante
adaptogène qui s’appelle l’ashwagandha, le ginseng indien. C’est une plante aux
composés très divers, complexe et même un peu mystérieuse. On la surnomme la
force du cheval, pour son coté énergique. Et pourtant son nom latin, à juste
titre est « Withania somnifera ». Comme je l’explique souvent
au comptoir, cette plante a la faculté de fortifier l’organisme d’une façon
bien originale. Une cure d’ashwagandha vous mettra en forme et vous soutiendra
dans votre quotidien. On conseille habituellement de prendre deux à quatre
gélules le matin. Mais si vous commencez la cure alors que vous êtes en manque
de sommeil, en manque de récupération d’énergie, alors cette plante aura un
effet bien particulier : l’envie de dormir sera d’une telle force qu’elle
pourra même vous perturber dans votre travail ou votre bien-être du moment.
C’est pourquoi on la conseille en première intention, face à des personnes
fatiguées, de commencer le soir, et après avoir retrouvé la forme, de passer
aux prises du matin.
C’est ce que nous avons expliqué un jour à un monsieur,
passé à la boutique parce qu’il avait perdu le sommeil et qu’il trainait une
fatigue carabinée. A la suggestion de prendre de l’ashwagandha, il nous a dit
que justement il en avait chez lui et qu’il allait donc commencer la cure selon
nos conseils. Quelques temps plus tard, un peu contrarié, ce monsieur vient
nous revoir et nous explique que cette cure n’a rien donné. Dans la discussion,
je lui demande si l’ashwagandha qu’il a pris provenait de chez nous. Vous vous
en doutez, la réponse était négative. Il a donc essayé notre complément
alimentaire et Ô surprise, cet homme a retrouvé le soir même un sommeil
réparateur. L’ashwagandha achetée ailleurs était un extrait…
Mais le comble de cette histoire tient en ceci : son
ashwagandha achetée dans une autre boutique, ou peut-être sur Internet était
dosée à 5% de withanosides, son principe actif majeur. La nôtre, à la suite
d’une analyse que nous avons faite, est dosée à 0,5%... Cherchez
l’erreur !!!
[1]
Encore le mois dernier 60 millions de consommateurs, qui est pourtant un canard
sous l’égide de l’Institut National de la Consommation a vomi toutes ses
bêtises sur le sujet, dans une totale incompétence. On se demande à qui profite
le crime…