vendredi 5 septembre 2014

Alternatif Bien-être n°96 - Septembre 2014



La blouse blanche… quelle croix !


90 % de la production mondiale de poissons d’élevage vient d’Asie… D’un côté, les éleveurs traditionnels qui soignent leur poissons avec des plantes. D’un autre, l’aquaculture industrielle qui ne sait plus comment sortir de l’antibiorésistance galopante… Des initiatives sont en marche pour allier l’une et l’autre. Mais que servent-elles au juste ?

Le projet ESTAFS1, tout un programme !

Le projet ESTAFS fait partie du grand programme Bio-Asie lancé en 2013, qui vise à améliorer la collaboration scientifique entre la France et différents pays d’Asie. Les objectifs des projets lancés paraissent bien nobles : étude de la biodiversité, de la nutrition, de l’agronomie, des énergies renouvelables ou valorisation des substances naturelles pour la santé de l’homme et des animaux.
Le projet ESTAFS, lui, s’intéresse aux plantes traditionnellement utilisées pour soigner les poissons. Une équipe de l’IRD2, avec d’autres partenaires en place entre Java et le Nord Vietnam, a mené des enquêtes ethnobotaniques auprès de 1000 pisciculteurs traditionnels. Il est clair que leur savoir ancestral est inestimable…


La symbiose homme/poisson

Les peuples d’Asie sont de grands consommateurs de poissons, grâce à la pêche possible dans de nombreux endroits, mais aussi à l’élevage qui remonte probablement à des millénaires. Les aquaculteurs traditionnels utilisent des plantes dont les fleurs, les racines ou les feuilles broyées sont directement intégrées à la nourriture des poissons. Cela permet de les préserver de certaines maladies, de les fortifier pour favoriser une croissance optimale ou même pour réduire leur stress ! Cette approche a pour socle la pharmacopée destinée à l’homme, qui nous le savons est d’une richesse incroyable… D’autres plantes sont employées pour assainir les bassins par leurs propriétés dépuratives. ça, c’est la face rose de l’histoire !

L’industrie de l’écaille d’argent

La face obscure, c’est l’industrie piscicole qui s’est érigée au cours du 20ème siècle dans le monde entier. Nous sommes tous plus ou moins au courant des polémiques soulevées par ce mode d’élevage : farine animales, OGM, colorants synthétiques pour colorer les poissons et bien sûr, l’usage massif d’antibiotiques pour contrer les aberrations de ce système.
On peut aujourd’hui constater une chose : l’élevage industriel n’est pas viable ! En plus de menacer la santé des poissons, il menace l’environnement et la santé de l’homme. L’initiative de ce fameux projet ESTAFS est louable mais à quel besoin répond-t-il ? Est-ce pour continuer à produire encore plus d’un simple « produit de consommation » pour l’homme ? Peu importe les moyens, c’est le résultat qui compte ? Je crains que l’usage de plantes, qui intéresse tant les scientifiques, ne soit là que pour « remplacer » l’usage des antibiotiques. Mais ce n’est pas dans cette logique que la médecine traditionnelle, appliquée aux poissons ou à l’homme, est construite…

Tradition bafouée

Comment imaginer passer d’un modèle traditionnel à un modèle industriel sans n’en perdre aucune valeur ? Ces artisans qui traitent leurs poissons comme leurs semblables ne s’apparentent en rien aux patrons de grosses firmes poissonnières ! Et les plantes qu’ils donnent à leurs poissons ne sont pas choisies froidement pour les principes actifs qu’elles contiennent. Elles sont indissociables de l’approche globale de l’écosystème, que l’éleveur a reproduit.
Par la nature même de la science, la démarche scientifique passe systématiquement à côté de la compréhension du savoir traditionnel. Car qu’est-ce que font les chercheurs de l’IRD ou du CIRAD3 ? Ils recherchent à prouver l’existence de principes actifs, à standardiser et à pouvoir reproduire… à l’échelle industrielle ! D’une action globale de la plante, on passe à une action moléculaire qui n’a plus rien à voir, même si son origine est naturelle.
Le pire c’est que ces mêmes scientifiques ont réussit à convaincre ces éleveurs qu’il pouvaient les aider à mieux comprendre les plantes. Ne vaudrait-il pas mieux revoir le fondement de cette industrie aberrante ?
A croire qu’aujourd’hui, les missionnaires ne portent plus de croix mais des blouses blanches !

Jean-François Astier


1 ESTAFS : Ethnobotany for Sustainable Therapy in Aquaculture and Food Safety (ethnobotanique pour une aquaculture durable et sécurité des aliments).

2 IRD : Institut de recherche pour le développement

3 Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

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