lundi 2 juillet 2012

Plantes&Santé n°122 - Mars 2012

Quand Ursus croqua la pomme
 C’est en 1929, que le biologiste soviétique Nikolaï Vavilov a repéré, au cœur des montagnes du Kazakhstan, une forêt de pommiers qu’il soupçonna être l’espèce originelle du pommier que l’on connaît aujourd’hui. Son intuition a été confirmée il y a à peine deux ans par le séquençage de l’ADN de la pomme kazakhe. Et quelle n’a pas été la surprise des chercheurs généticiens : Malus sieversii, comme il a été baptisé, a beaucoup à nous apprendre par sa formidable expression génétique et sa résistance. D’après Catherine Peix, la réalisatrice d’un film saisissant «L’origine de la pomme ou Le jardin d’Éden retrouvé » que je vous conseille vivement de voir, « pas un seul arbre ne ressemble à son voisin », la forêt offrant plus de cinq millions de pommiers différents, chacun avec des pommes aux formes, couleurs, tailles et goûts très différents. Qui plus est, Malus sieversii résiste à toutes les maladies, notamment à la tavelure, véritable fléau de notre pommier actuel. Lors de son lent voyage sur la route de la soie, notre pommier Malus domestica, qui n’est qu’une sélection variétale de ce Malus sieversii originel, a perdu un bon nombre de gènes de résistance du fait de nos manipulations humaines (greffes, croisements…).
Aujourd’hui, les pommes vendues en supermarchés sont classiquement aspergées de 35 pesticides pour lutter contre les maladies auxquelles le pommier originel résiste naturellement. Cela donne à réfléchir. Cette forêt originelle a déjà été détruite ces dernières années à plus de 70 %. Pour protéger le peu restant, Catherine Peix recherche des mécènes et envisage même de solliciter la firme Apple. Le plus saisissant de cette histoire est que les botanistes ont découvert, un peu fortuitement, comment ces grosses et belles pommes, rouges, jaunes ou vertes, sont apparues dans ces forêts, tout en partageant leur espace naturel avec des confrères aux fruits de taille minime, si communs chez les Malus.
Pendant des millions d’années, Malus sieversii a côtoyé des populations d’ours qui ont mangé les fruits les plus gros et les plus sucrés. En se retrouvant dans leurs déjections, les pépins de ces pommiers ont été avantagés pour germer dans les meilleures conditions tout en étant disséminés. Au fil des années, pendant cette longue période, les ours du Kazakhstan ont été les acteurs de l’évolution de Malus sieversii, que nous redécouvrons aujourd’hui. Si nous étions une société animiste, nous ferions de l’ours un dieu et non une calamité ou une espèce dangereuse. C’est hélas le discours de nombreux chasseurs là où j’habite, en Ariège…
Il est temps de protéger là-bas la formidable biodiversité que nous offrent ces pommiers et de rendre ici à l’ours ce qui lui revient : hommage, respect, envie. Finalement, faisons comme lui, croquons la pomme !

Jean-François Astier


« L’humanité se prend trop au sérieux ; c’est le péché originel de notre monde. » Oscar Wilde.

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