La blouse blanche… quelle
croix !
90 % de la production mondiale de poissons d’élevage vient
d’Asie… D’un côté, les éleveurs traditionnels qui soignent leur poissons avec
des plantes. D’un autre, l’aquaculture industrielle qui ne sait plus comment sortir
de l’antibiorésistance galopante… Des initiatives sont en marche pour allier
l’une et l’autre. Mais que servent-elles au juste ?
Le projet ESTAFS1,
tout un programme !
Le projet ESTAFS fait partie du grand programme Bio-Asie
lancé en 2013, qui vise à améliorer la collaboration scientifique entre la
France et différents pays d’Asie. Les objectifs des projets lancés paraissent
bien nobles : étude de la biodiversité, de la nutrition, de l’agronomie, des
énergies renouvelables ou valorisation des substances naturelles pour la santé
de l’homme et des animaux.
Le projet ESTAFS, lui, s’intéresse aux plantes
traditionnellement utilisées pour soigner les poissons. Une équipe de l’IRD2,
avec d’autres partenaires en place entre Java et le Nord Vietnam, a mené des
enquêtes ethnobotaniques auprès de 1000 pisciculteurs traditionnels. Il est
clair que leur savoir ancestral est inestimable…
La symbiose
homme/poisson
Les peuples d’Asie sont de grands consommateurs de poissons,
grâce à la pêche possible dans de nombreux endroits, mais aussi à l’élevage qui
remonte probablement à des millénaires. Les aquaculteurs traditionnels
utilisent des plantes dont les fleurs, les racines ou les feuilles broyées sont
directement intégrées à la nourriture des poissons. Cela permet de les
préserver de certaines maladies, de les fortifier pour favoriser une croissance
optimale ou même pour réduire leur stress ! Cette approche a pour socle la
pharmacopée destinée à l’homme, qui nous le savons est d’une richesse incroyable…
D’autres plantes sont employées pour assainir les bassins par leurs propriétés
dépuratives. ça, c’est la face
rose de l’histoire !
L’industrie de
l’écaille d’argent
La face obscure, c’est l’industrie piscicole qui s’est
érigée au cours du 20ème siècle dans le monde entier. Nous sommes
tous plus ou moins au courant des polémiques soulevées par ce mode
d’élevage : farine animales, OGM, colorants synthétiques pour colorer les
poissons et bien sûr, l’usage massif d’antibiotiques pour contrer les aberrations
de ce système.
On peut aujourd’hui constater une chose : l’élevage industriel
n’est pas viable ! En plus de menacer la santé des poissons, il menace
l’environnement et la santé de l’homme. L’initiative de ce fameux projet ESTAFS
est louable mais à quel besoin répond-t-il ? Est-ce pour continuer à produire encore
plus d’un simple « produit de consommation » pour l’homme ? Peu
importe les moyens, c’est le résultat qui compte ? Je crains que l’usage
de plantes, qui intéresse tant les scientifiques, ne soit là que pour
« remplacer » l’usage des antibiotiques. Mais ce n’est pas dans cette
logique que la médecine traditionnelle, appliquée aux poissons ou à l’homme,
est construite…
Tradition bafouée
Comment imaginer passer d’un modèle traditionnel à un modèle
industriel sans n’en perdre aucune valeur ? Ces artisans qui traitent
leurs poissons comme leurs semblables ne s’apparentent en rien aux patrons de
grosses firmes poissonnières ! Et les plantes qu’ils donnent à leurs
poissons ne sont pas choisies froidement pour les principes actifs qu’elles
contiennent. Elles sont indissociables de l’approche globale de l’écosystème,
que l’éleveur a reproduit.
Par la nature même de la science, la démarche scientifique
passe systématiquement à côté de la compréhension du savoir traditionnel. Car
qu’est-ce que font les chercheurs de l’IRD ou du CIRAD3 ? Ils
recherchent à prouver l’existence de principes actifs, à standardiser et à
pouvoir reproduire… à l’échelle industrielle ! D’une action globale de la
plante, on passe à une action moléculaire qui n’a plus rien à voir, même si son
origine est naturelle.
Le pire c’est que ces mêmes scientifiques ont réussit à
convaincre ces éleveurs qu’il pouvaient les aider à mieux comprendre les
plantes. Ne vaudrait-il pas mieux revoir le fondement de cette industrie
aberrante ?
A croire qu’aujourd’hui, les missionnaires ne portent plus
de croix mais des blouses blanches !
Jean-François Astier
1
ESTAFS : Ethnobotany for Sustainable Therapy in Aquaculture and Food Safety
(ethnobotanique pour une aquaculture durable et sécurité des aliments).
2
IRD : Institut de recherche pour le développement
3 Centre de
coopération internationale en recherche agronomique pour le développement
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